À compter de ce samedi 25 octobre 2025, la voix du chroniqueur Jean-Baptiste Placca ne résonnera que dans le passé sur les ondes de Radio France Internationale (RFI). Après plus de 20 ans de service, l'éminent Analyste togolais a fait ses adieux aux millions d'auditeurs francophones du média français, repartis à travers le monde.
«C’est, ici, le moment de dire merci aux auditeurs», a-t-il déclaré en guise chute de sa toute dernière chronique intitulée " Si c'est un rêve...". En somme, pour cette ultime synchronisation avec son auditoire, le patenté journaliste togolais a tenu à remercier les auditeurs de RFI pour leur écoute vigilante, leurs critiques et leur bienveillance.
«Je viens de vous, je vais vers vous. D’une manière ou d’une autre, nous nous retrouverons, pour continuer à penser cette Afrique qu’aucun de nous ne peut, seul, porter sur ses épaules», à conclu Jean-Baptiste Placca, après après dix-huit ans de présence sur cette antenne internationale.
En intégralité, la dernière chronique de Jean-Baptiste Placca sur RFI:
« Si c'est un rêve...
Dans la nuit du 26 au 27 octobre, ministres et dignitaires du régime se succèdent au Palais présidentiel, dans un incessant ballet de rutilantes berlines et de luxueux 4×4. Sur le visage des personnalités qui défilent se lit une certaine gravité, de la consternation, de l’inquiétude. On devine même, ici et là, une réelle angoisse. La capitale bruisse de folles rumeurs. La télévision nationale a positionné dans la cour du Palais son car-régie réservé aux grands événements. On attend une importante annonce présidentielle. Trois jours plus tôt, la proclamation annoncée des résultats avait été subitement reportée, à la demande, paraî
À l’heure du journal télévisé du soir, un bandeau annonce aux téléspectateurs « un important événement ». 21 heures 20, le générique du JT démarre, répétitif, trois fois plus long que d’habitude. C’est alors qu’apparaît, pimpante et impassible, la présentatrice vedette.
Et que dit-elle donc ?
« Mesdames et messieurs, bonsoir. Un message solennel du président de la République ». Le drapeau au-dessus du Palais flotte au vent tout au long des soixante-huit secondes que dure l’hymne national. Debout derrière un pupitre, le visage à la fois grave et détendu, le chef de l’Etat démarre posément :
« Chers concitoyens, vous avez voté le 12 octobre dans le calme et la sérénité, et je vous en félicite. Au regard des résultats de ce scrutin, j’ai le plaisir et l’honneur historique de vous annoncer que vous avez choisi pour conduire la destinée de notre chère patrie… ». La plupart croient alors rêver en entendant le président prononcer le nom de son ancien ministre et challenger, qu’il félicite avant de lui souhaiter plein succès dans la conduite de la nation. Alors qu’il invite le peuple à s’unir derrière l’heureux élu, on entend, dans le lointain, des clameurs, portées en écho par les sept collines qui enserrent la capitale. Les foules se déversent presque aussitôt dans les rues. Dans toutes les villes du pays, c’est la même liesse débordante. Comme les soirs de grande victoire de l’équipe nationale de football…
Rassurez-nous ! C’est bien de la fiction, l’événement que vous évoquez là, n’est-ce pas ? Et cette équipe nationale, ne serait-ce pas Les Lions Indomptables ?
Quelle perspicacité ! Pour le pire, l’Afrique est désespérément prévisible. Mais elle peut aussi surprendre, pour le meilleur. Il nous est souvent arrivé de dire ici que l’Afrique est le continent du pire et du meilleur. Le pire est toujours régulier, ponctuel. Quant au meilleur, il surgit à l’improviste, au moment où on l’attend le moins. Sur les faits que nous relatons, les Camerounais seront fixés dans les quarante-huit heures, et nous avec. Si c’est un rêve, il est assumé. Et si la réalité venait à nous contredire, nos certitudes d’espérance vaudront circonstance atténuante. Car, même lorsque sombre toute joie, nous avons le devoir de continuer à croire en ce continent. L’argent, la ruse et l’imposture n’auront pas le dernier mot !
Il suffit de si peu, pour que le Cameroun renoue avec une dynamique positive. Paul Biya a beaucoup à se faire pardonner. Ce sera fait, s’il parvenait à s’extirper du guet-apens tendu par son propre entourage. Peut-être même retrouverait-il alors un peu de cette popularité immense qui a marqué son arrivée au pouvoir, il y a plus de quatre décennies.
C’est, ici, le moment de dire merci aux auditeurs. Pour leur écoute vigilante. Pour leurs critiques, leur bienveillance. Je viens de vous, je vais vers vous. D’une manière ou d’une autre, nous nous retrouverons, pour continuer à penser cette Afrique qu’aucun de nous ne peut, seul, porter sur ses épaules».
Pour rappel, Jean-Baptiste Placca, né en 1953, est un journaliste et éditorialiste togolais. Par l'Agence togolaise de presse, de novembre 1978 à juin 1983, grand reporter puis rédacteur en chef adjoint à Jeune Afrique, de 1984 à 1990, il a été Directeur de la rédaction à Jeune Afrique Économie d'avril 1990 à novembre 1996, puis Directeur de la rédaction de L'autre Afrique, de mai 1997 à septembre 2003. Depuis 2004, Jean-Baptiste Placca officiait au titre de Editorialiste en Afrique pour RFI.